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17 septembre 2008 3 17 /09 /septembre /2008 17:33
Suite des articles sur l'enfance de Herriot présentés lors de l'exposition  de 1998 à Troyes. Aujourd'hui un article de J.L. Prevost de Janvier 1968


EDOUARD HERRIOT et la CHAMPAGNE

 C’est un peu par hasard qu'Edouard Herriot naquit à Troyes en 1872, place de la Bonneterie, aujourd’hui place Jean-Jaurès. Car son père était alors lieutenant au 93° d'infanterie, mais soumis à de fréquents changements de garnison. Il avait épousé l 'année précédente Eugénie Collon , elle même d ' une famille de soldats . Ainsi la naissance eut lieu chez la veuve Collon ; celle-ci était de souche champenoise , comme son beau-frère originaire de Landreville , alors curé de Saint-Pouange , ou il exerça son ministère pendant quarante-cinq ans . Les Herriot étaient d ' origine lorraine ; le père d ' Edouard tint garnison à La Roche-sur-Yon , où son fils commencera de solides études secondaires , pour les poursuivre à Paris comme boursier . Mais bornons-nous à noter ce qui est essentiel à nos yeux , plus encore aux siens : l' enfant eut pu , dans de telles circonstances , être un déraciné . Or il est devenu et resté Champenois d ' adoption et de coeur . A demi Lyonnais seulement , malgré son mariage et d ' importantes fonctions municipales . Dès le berceau, le grand-oncle , curé de Saint-Pouange exerce sur lui son influence . Il le baptise , il garde auprès de lui la grand-mère et l' enfant , à longueur d’année , semble-t-il , l'envoyant de bonne heure à l’école , et complétant son éducation par des leçons de catéchisme et d ' histoire sainte . Il apprend au garçonnet non seulement à lui servir la messe , mais à se familiariser avec le latin. Dans Jadis , livre le plus important de souvenirs, paru en 1948 , Edouard Herriot parle avec tendresse du bon prêtre, mais aussi de la Champagne , toute médiocre et « pouilleuse » qu’elle fut alors. « De fait le sol y était : crayeux , sec , farineux , ombré de grises broussailles , et on le comparait à la peau d’ un mouton galeux . La terre y fut dit-on si pauvre jadis , qu’on la vendait à la volée . Aussi loin que pouvait porter une voix poussant des « Hô» vigoureux . Quand j’ arriverai au régiment, mon voisin de chambrée me dira : Je le connais ton pays , en pleine moisson les rats y descendent du grenier parce qu’ils crèvent de faim...» Boutade de soldat ? Pour s’en rapporter cependant aux descriptions de Herriot lui-même , les maisons « rouillées par le temps » étaient de bois et de torchis , couvertes de chaume , souvent abandonnées. Il y avait alors des chènevières et des fossés à rouir le chanvre , et quantité de friches . Se rendant parfois avec son oncle dans un château voisin , le jeune Herriot l ' entendait évoquer les misères autrefois subies par le peuple, et ainsi « découvrait à chaque pas les traces des souffrances que lui avaient infligées au cours de l’ histoire l’ incendie , la peste et cet autre fléau , la guerre ».A Troyes , il était conduit dans les églises , et il en énumère les trésors longuement ; il parle aussi de Chaource et de son calvaire en termes pertinents . Qu’il nous suffise , sans tout citer , de reproduire cette remarque si juste « Peu à peu j’ai goûté le sens national de cette sculpture qui abandonne la convention romane pour la recherche d ' images empruntées à la nature ou aux personnages du pays , qui se plaît à signer son origine en posant sur un arc un cep de vigne ou une branche de ronces sauvages » . Une des grandes occasions où Edouard Herriot faisait mieux que de tendre les burettes , c’était , tandis que l’instituteur public revêtait encore le surplis de chantre , de tenir , pour « le cher vieil oncle » , le bénitier à la procession des Rogations . Il s’ enivrait de l’ odeur du printemps : « Depuis ce temps je ne puis écouter sans quelque trouble de coeur l’ hymne de notre César Franck : Dieu s ' avance à travers les champs » . Aussi bien accompagnait-il l’abbé Collon aux réunions du doyenné et absorbait-il docilement la Bible et la Patrologie de Migne , tout cela « dansant un peu dans la tête d’ un enfant de douze ans ».
Quand il eut perdit la foi , il ne renia pas pour autant cette pieuse enfance , pas plus que la région où il passa ses vacances jusqu’ à la mort de l’ oncle en 1889 . « Désormais , écrit-il encore , je visiterai plus rarement ma bonne Champagne , mais suivant le vers de Chrétien de Troyes : « Le corps s’en va. le coeur séjourne. » Absorbé par sa carrière politique , il revient une fois à Saint-Pouange en « pèlerinage » , en 1924 , étant président du Conseil ; il y revint encore en 1936 en compagnie d’ E. Daladier . C’était pour constater l’ étonnante transformation de la contrée et affirmer douze ans plus tard « La Champagne pouilleuse est morte , mais elle vit dans mon coeur » .
Quand il fut emmené par les Allemands , il passa , bien au nord de Troyes , par Vitry, et s’ émut de revoir « ses Champenois , des vieillards au visage guilloché de rides , des adolescents silencieux et narquois » .Sans doute Edouard Herriot , auteur d ' une quinzaine de volumes et de nombreux écrits politiques , n’a-t-il parlé qu'épisodiquement de la Champagne ; mais ce qu’il en dit est émouvant par sa sincérité .

    J.L. Prevost ( La vie en Champagne n° 163, Janvier 1968).

  Documents consultés :
Jadis (1948) , Épisodes (1950) d' Edouard Herriot ,
Une biographie de Louis Anteriou et Jacques Baron ,
Un article de Louis Morin ( Almanach du Petit Troyen , 1937) .

 

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Etienne DOLET

 

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